Note d’intention par l’autrice Magali Mougel
« Nommer c’est octroyer un destin, écouter c’est obéir. »
« Parfois j’aime à croire que nous avons vu ces gestes sans les comprendre et que lorsque les enfants étaient en ville ils offraient à nos yeux ces bourgeons d’humanité. Quelque chose était né à notre insu et aussi contre nous. L’enfance est plus puissante que la fiction. »
Andrès Barba, Une République Lumineuse.
On est enfant jusqu’à 18 ans.
En France, en théorie.
Sauf si tu t’appelles Fatima Bedar.
Sauf si tu t’appelle Zyed Benna et Bouna Traoré.
Sauf si tu es lycéen ou lycéenne à Mantes la Jolie et que tes cours, le 8 décembre 2019 ne commencent pas avant 9 heures et que tu te retrouves coincés à la grille de l’établissement.
Sauf si tu es un enfant Guyanais vivant sur l’une des rives des grands fleuves qui traversent le territoire.
On est enfant jusqu’à 18 ans,
En France, en théorie, mais jusqu’à certaines conditions – socio-économiques, culturelles, géographiques ?
Comme si pouvoir vivre son enfance, comme si être considéré comme un enfant, encore plus si on a fait des conneries avant sa majorité n’était plus un droit de fait, l’ordonnance de 1945 du Général de Gaulle semble avoir pris un coup dans l’aile.
On entend les discours, « la jeunesse est violente », « la jeunesse est prise au piège dans une confusion des valeurs », « face à des enfants qui génèrent de la violence il n’y a pas d’autres choix que de forger la conscience du mineur en le confrontant à l’interdit » Alors on met en place de la répression, de l’intimidation, de la négation au risque de violer des libertés individuelles, sous couvert d’absence de blessures physiques.
L’État ne noie plus ses enfants dans la Seine, certes, mais ils les plongent pourtant dans la peur, l’angoisse.
Blessure invisible.
Or comment peut-on reprocher à des enfants de remettre en cause des systèmes sociaux et politiques humiliant, discriminant et injuste ?
Est-ce une incapacité d’un Etat à se saisir et comprendre les basculements sociaux au sein de la population ? Est-ce tout simplement le symptôme d’un État déconnecté du réel et pris dans une confusion de valeur ? Qu’est-ce qu’un pays qui a peur de sa propre jeunesse ? Une peur telle, qu’il laisse son appareil policier « ciblé des lycéens à un moment donné de leur vie, au moment d’une grève c’est-à-dire le moment où d’adolescent on passe à citoyen. Peut-être que l’État inconsciemment se rend compte que s’il veut diriger plus facilement des populations, et bien il faut taper à la racine et faire peur tout de suite » ? De quoi sont le nom ces processus de désanfantisations ciblées qui sévissent en France ? Est-ce une façon d’inoculer un nouvel habitus social, une façon de dresser les esprits à des idéaux d’Etat ? Un moyen de réaffirmer les valeurs qui fondent une potentielle identité nationale ?